Goûter Maths

Les spaghettis d’Hugo


ou

Quelle est la longueur d’un spaghetto ?

On raconte que c’est le chimiste prix Nobel Paul Flory qui voulait savoir quelle était l’élongation d’un polymère (longue molécule comme un spaghetti) en 1948. Comme si avant on ne s’était jamais demandé avant qu’elle était l’élongation d’un spaghetto.

Polymère: longue molécule ou Spaghetto dans la soupe

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Autrement dit pourquoi avec un certain nombre de spaghetti, c’est toute l’assiette qui vient quand on plante un coup de fourchette, alors même que l’on mange des pâtes depuis plus de 2000 ans et des spaghetti en Sicile depuis au moins l’an 1150 comme en atteste Al-Idrissi.

« À l’ouest de Termini se trouve la ville de Trabia (en arabe Ar-Rabi’at Carré), un lieu très-agréable enchanteur, où coulent des ruisseaux dont les eaux font tourner plusieurs moulins et où sont de vastes habitations dans lesquelles on fabrique une sorte de pâte courbe filamenteuse (en arabe « itryah » qui signifie « pain plat coupé en lanières » était aussi déjà mentionné dans le Talmud de Jerusalem publié autour de l’an 350 comme itriya (or itrija) et serait les premières mentions de pâtes bouillies en soupe. Le terme serait passé par le perse signifiant « shoe laces » ou « string in quantities ». Les italiens le traduisent par vermicelle, qui signifie en forme de ver (même étymologie indo-européenne que serpent), dont il se fait une exportation considérable, soit en Calabre, soit dans les province musulmanes, soit dans les pays chrétiens.« 

Al-Idrissi (de son nom complet Abu Abdallah Muhammad Ibn Muhammad Ibn Abdallah Ibn Idriss al-Qurtubi alHassani ( ا عبد ابن محمد ابن محمد ا عبد أب ابن ادريس القرطبي الحسن) Sicile, 1150, Le livre de Roger ou La Géographie d’al-Idrissi ou Kitâb Nuzhat al
Mushtâq ou Kitâb Rudjâr ou , surtout connu car ce livre contient la première map-monde publiée, où la sicile a d’ailleurs une place prépondérante.

Pour simplifier, on pourrait déjà connaitre l’élongation d’un spaghetto isolé (on pourrait dire un spaghetto dans un bouillon là où Paul Flory parle de polymère dans un solvant).

Pour connaitre son élongation, il faut connaitre le nombre des configurations d’un spaghetto. En effet, c’est une histoire d’entropie. On observera un spaghetto que dans l’élongation qui correspond au nombre le plus grand de configuration.

Quand on regarde un spaghetto cuit il a une forme comme ça:

On ne voit jamais un spaghetto pris au hasard dans un plat, ou une soupe ou quand on le lance tout droit comme ceci:

Ni tout replié sur lui même ainsi:

Cela pourrait arriver mais c’est si improbable que ça n’arrive jamais. On aurait alors des plats de spaghettis qui ressembleraient à ceci, et d’ailleurs les assiettes traditionnelles serait trop petites(*). (* la densité des pâtes probablement inférieur au plat traditionnel pourrait avoir un intérêt gastronomique):

Ou à aussi le cas suivant (**): (**Dans ce cas, lorsque l’on prend une fourchette de pâte, un seul spaghetto vient à la fois, il n’y a plus de resistance avec tout le plat qui viendrait d’un coup, on aurait en quelque sorte un plat de spaghetti superfluide):

Mais ça n’arrive jamais, car parmi toutes les configurations de spaghettis, il y en a beaucoup plus qui ressemblent à ceci:

Où l’élongation de chaque spaghetti est proche d’une valeur moyenne, et non pas tous repliés sur eux même ni touts bien droit le plus allongés possible.

C’est une question d’entropie.

Il n’y a qu’une configuration où le spaghetto est tout allongé tout droit, et il est peu probable (ça n’arrive jamais) d’observer un spaghetto filer tout droit comme une règle dans son assiette au travers le plat de spaghetti (comme s’il était cru). De même il est tout aussi improbable d’observer un spaghetto qui serait tout enroulé sur lui même pour former une sorte de boule ou de cylindre compact. Par contre il y a plein de configurations où le spaghetti est plus ou moins enroulé tournicotant, et c’est ce qu’on voit dans son assiette.

On appele cela une marche aléatoire auto-évitante. Car le spaghetto peut aléatoirement tourner vers la droite ou la gauche dès que son rayon de courbure le lui permet, et auto-évitante car le spaghetto ne peut pas se traverser lui même.

Si on s’autorisait de revenir en arrière ou de se traverser, on aurait ce qu’on appelle une marche aléatoire, ou aussi appelé mouvement brownien. Ce mouvement plus simple est bien plus étudié et connu. Au bout de n étape, l’espérance est toujours d’être au point de départ, mais l’écart type croit comme sqrt(n) du nombre de croisement sur un réseau carré. Historiquement c’est Brown et Enstein qui en observant les grains de pollen au microscope percutés par des particules aléatoirement se déplacent comme une marcheur ivrogne aléatoirement faisant un pas à droite ou à gauche. Ce mouvement est plus simple d’une certaine façon car c’est un mouvement markovien, le pas que l’on va faire ne dépend que de la position précédente. Alors que si l’on s’interdit de ne pas reculer ou de rebrousse chemin, c’est un mouvement makovien qui dépend des 2 positions précédentes. Mais pour la marche auto-évitante, cela dépend de toute la marche antérieure afin de ne pas s’intersecter.

Pour une marche auto-évitante Hugo a étudié le cas sur un réseau en nid d’abeille.

Et voici ce qu’on peut en dire:

Soit c_n le nombre de chemins auto-évitants de longueur n partant d’un point donné du réseau. Par exemple en dimension 1, c_n=2

Comme un chemin auto-évitant de longueur n + m peut être décomposé en deux chemins auto-évitants de longueur n et m, il s’ensuit que c_n + c_m \leq c_n \cdot c_m

On peut appliquer ensuite le lemme sous-additif.

Lemme sous-additif:

Une suite u_n est dite sous-additive si u_{n+m} \leq u_n + u_m

Alors la limite lorsque n tend vers +\infty de la suite \frac{u_n}{n} existe, et

\lim_{{n \rightarrow +\infty}} \frac{u_n}{n} = \inf_{{n \geqslant 1}} \frac{u_n}{n} \in \mathbb{R} \cup \{-\infty\}

et est notée \mu avec \mu = \frac{u_n}{n} \in \mathbb{R} \cup \{-\infty\}.

Cela signifie que u_n > n \cdot \mu.

Démonstration:

Soient q \in \mathbb{N}^* et n un entier vérifiant n \geqslant q. La division euclidienne de n par q donne n = k_nq + r_n avec k_n \geqslant 1 et 0 \leqslant r_n \leqslant q-1.

Par sous-additivité de (u_n), on a donc u_{n} = u_{(k_n-1)q+q+r_n} \leqslant (k_n-1)u_{q}+u_{q+r_n}. En divisant cette inégalité par n, on obtient :

(1)   \begin{align*} \frac{u_n}{n}   &\leqslant \frac{k_n-1}{n} \cdot u_q + \frac{u_{q+r_n}}{n}  = \frac{q(k_n-1)}{n} \cdot \frac{u_q}{q} + \frac{u_{q+r_n}}{n} \\  &\leqslant \frac{n-r_n-q}{n} \cdot \frac{u_q}{q} + \frac{u_{q+r_n}}{n}  \leqslant  \frac{n-r_n-q}{n} \cdot \frac{u_q}{q} + \frac{\underset{0 \leqslant i \leqslant q-1}{\max} u_{q+i}}{n}. \end{align*}

Puisque 0 \leqslant r_n \leqslant q-1, on a \lim_{n\to +\infty} \frac{n-r_n-q}{n} = 1. En prenant la limite supérieure sur n dans le premier membre et le dernier membre de l'inégalité précédente, on obtient :

(2)   \begin{align*} \limsup_{n \to +\infty} \frac{u_n}{n}  \leqslant   \frac{u_q}{q}. \end{align*}

Puisque cette dernière inégalité est vérifiée pour tout entier q \geqslant 1, on en déduit :

(3)   \begin{align*} \limsup_{n \to +\infty} \frac{u_n}{n} \leqslant \inf_{q\geqslant 1} \frac{u_q}{q} \leqslant \liminf_{q \to +\infty} \frac{u_q}{q}. \end{align*}

Ce qui termine la preuve.

En appliquant ce lemme à la suite (\ln c_n), on a que \lim_{n \rightarrow +\infty} c_n (\Z^d)^{1/n} existe et est appelé est appelée constante de connectivité du réseau avec c_n\geqslant\mu ^n

Pour un réseau en forme d’hexagone d’abeille, Hugo Dimesnil a démontré ce que des physiciens avaient deviné 30 ans plus tôt que c_n = \sqrt{2 + \sqrt{2}} et qu’en général on conjecture que \frac{c_{n+1}}{c_n}\rightarrow\mu (seule a été démontrée la limite \frac{c_{n+2}}{c_n}\rightarrow\mu^2 ).

Il est de plus conjecturé que c_n \sim c.\mu^n.n^{\gamma} où l’exposant \gamma est universel (il dépend de la dimension, mais pas du réseau) et en 2D il est conjecturé que \gamma = 43/32 vérifié par des simulations jusque n=71. Le n d’un spaghetti correspond au nombre de fois que son rayon de courbure divise sa longueur.

$\gamma =1,16… en dimension 3.

En dimension 4 et plus, il y a tellement de place comparé à la place (2d) que prend une marche aléatoire à 4 dimensions, que les marches aléatoires sont statistiquement toutes auto-évitentes.

Inspiration
Nous nous sommes inspirés du domaine d’excellence de Hugo Dumesnil Coppin (Médaille Fields française) qu’est la physique statistique pour l’étude de transitions de phases. Les modèles de percolations préexistaient (voir le gâteau qui imbibe), l’originalité dans l’approche est d’étudier des modèles ou il n’y a pas d’indépendance: contrairement à la marche aléatoire, la nouille ne peut pas s’intersecter donc là où elle ira plus loin dépend de là où elle a été, tout comme une collection d’aimants peuvent prendre chacun une orientation aléatoire mais les aimants s’influencent de proche en proche.

Pour aller plus loin avec Hugo

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